En missions avec l'ALAT - Somalie 1992

Opération ORYX, Somalie, décembre 1992 : missions à Hoddur près de la frontière éthiopienne, technique de posé dans les nuages de sable


Tag sur le TCD Foudre
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
Appontage ("Tag") d'un hélicoptère Puma sur le TCD Foudre en route vers la Somalie

Le 9 décembre 1992, les premiers Marines américains débarquent à Mogadiscio sous les caméras des journalistes : l'opération "Restore Hope" vient de commencer. Suivent des soldats français venus de Djibouti. Les américains se déploient à Mogadiscio, à Baidoa (le 16 décembre) et à Kismayo (au Sud, le 20 décembre). Les français avancent jusqu'à Hoddur (le 25 décembre) près de la frontière éthiopienne. Suivent 40 000 hommes de la force multinationale (Etats-Unis, France, Canada, Italie, Belgique...).

Un détachement ALAT de 250 hommes avec 10 Puma et 12 Gazelle du 5e RHC de Pau participe à l'opération.

 

Carte Somalie
(Carte www.mapquest.com)

 

Jean-Luc Brissaud alors pilote Puma nous raconte : "Les Puma ont embarqué le 12 décembre à Toulon sur le TCD Foudre. Appareillage le 13 pour Djibouti puis Mogadiscio où nous débarquons le 25 décembre. Durant le trajet nous effectuons quelques appontages, le TCD n'a pas le temps de prendre des routes avia (aviation) donc les vols sont limités. L'escale à Djibouti sert à embarquer des Légionnaires, nous sommes très nombreux sur le bateau.

Ce n'est pas toujours facile pour un terrien de s'habituer à la vie en mer quand le bateau remue. Les TCD sont des navires à fond plat, ils bougent terriblement et nous n'avons pas le pied marin... La Foudre et le Sirocco possèdent des stabilisateurs, mais personnellement je trouve que ça bouge quand même beaucoup.

Les marins sont généralement très accueillants. Au cours de cette mission, le bord a décidé de nous faire le repas de Noël le 24 décembre. Cette initiative fut très appréciée car une fois débarqués nous savions tous que nous aurions des conditions de vie très dures.

Nous avions comme mission la pacification du secteur de HODDUR, l'aide é la population et de faciliter l'acheminement par les ONG de l'aide humanitaire. Pour l'ALAT nous devions assurer le soutien des éléments Franéais avec 10 Puma et 12 Gazelle.

Le débarquement des hélicos fut assez long, environ 5 heures pour que tous les appareils puissent s'envoler. Le pont principal peut accueillir seulement 2 hélicos à la fois, une fois qu'ils sont partis, 2 autres sont amenés, leurs pales sont dépliées et les checks effectués avant la mise en route. Nous avons débarqués le 24 décembre sur l'aéroport de Mogadiscio et nous étions stationnés entre la piste principale et un parking au milieu d'un bruit infernal dé aux va et vient incessants des Galaxy, des Starlifter, C130, Antonov etc . Nous assurons la garde des appareils à tour de réle, il faut dire que ce n'est guère difficile car nous "dormons" (entre 2 décollages) dans ou sous les hélicos.

 

Hoddur
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)

Hoddur
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
Noêl sous le soleil d'Ethiopie

 

Le 26 décembre après midi nous décollons enfin pour BAïDOA, nous sommes contents de quitter cet enfer sonore. A BAïDOA nous ravitaillons chez les américains et nous repartons pour HODDUR où nous posons sur le terrain en latérite.

 

A Hoddur, une mini-tornade appelée
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
A Hoddur, une mini-tornade appelée "sorcière"
passe sur l'aire de stationnement des hélicos

 

La première chose qui nous frappe est la poussière qu'il y a dans ce pays. J'y reviendrai car cela demande un pilotage particulier. Le convoi routier est arrivé le lendemain. La population au début était inquiète, puis les habitants se sont rendus compte qu'il n'avait rien à craindre de nous. L'installation s'est faite en bout de la piste d'atterrissage sous tente.

Nous étions rationnés en eau : pendant un mois nous n'avions qu'un litre et demi d'eau par jour et par personne pour se laver et laver nos vêtements + 3 litres d'eau pour boire. C'était très difficile avec la chaleur et la poussière. Nous avions l'interdiction d'aller puiser l'eau dans les puits. Certains soirs, une fois la nuit tombée, je partais avec 2 ou 3 camarades remplir une citerne d'eau avec une moto pompe pour pouvoir prendre une douche.

Notre premier travail a été de sécuriser toute notre zone. Les Gazelle ont effectuées des patrouilles de reconnaissance, tandis que des embuscades étaient montées sur les pistes par les troupes au sol parfois mises en place à partir des Puma, sinon ravitaillées par ces derniers. Parallèlement nous avons héliporté de nuit des commandos sur les fortins tout le long de la frontière de l'Ethiopie.

 

Hélicoptère Puma près du Fort d'Albaren
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
Hélicoptère Puma près du Fort d'Albaren,
près de la frontière de l'Ethiopie

 

Tous les 2 ou 3 jours nous leurs amenions, toujours de nuit, des rations et de l'eau pour boire plus quelques bouteilles que nous arrivions à avoir par les Transall qui venaient de DJIBOUTI. En retour ils nous donnaient des phacochères et des gazelles, ce qui nous permettaient d'améliorer les menus des rations. Dans le même temps nous assurions le soutien logistique et armé de tous les postes français ainsi que les EVASAN (évacuations sanitaires).

Nous aidions directement la population en transportant des vivres, des vêtements, des pompes pour les puits et divers matériels pour la reconstruction de dispensaires et d'écoles. Mais nous assurions également la sécurité dans la zone qui nous était impartie en pourchassant les bandes de pillards qui avaient fait fuir les habitants des villages. Et nous avons vu revenir tous ces gens dans leurs maisons. Au sujet des écoles, j'ai assisté à la sélection des instituteurs. J'ai corrigé des exercices de mathématiques à 2 ou 3 candidats à un poste de maître. C'était assez folklorique, celui qui savait lire et compter a obtenu le poste... J'ai vraiment eu le sentiment d'aider les Somaliens, c'était très réconfortant.

 

Décollage d'un hélicoptère Puma dans un nuage de sable
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
Décollage d'un hélicoptère Puma dans un nuage de sable

 

Je vais maintenant parler de la technique que nous utilisons pour poser dans la poussière. La Somalie est le pays où j'ai trouvé le plus de poussière de tous les endroits où je suis allé. Lorsque nous menons l'approche, vers 35-40 m se produit un nuage énorme dû au souffle du rotor. C'est très dangereux car on perd la vue du sol, donc nous n'avons plus de référence pour connaître notre position dans l'espace. En plus c'est une phase très délicate car nous sommes à faible vitesse et en descente. La solution que nous adoptions était de garder une petite vitesse et un taux de descente bien stabilisé avant de rentrer dans le nuage. Vers 5-10 m nous retrouvions la vue du sol. Pendant toute la phase dans le nuage nous contrôlions bien l'horizon artificiel, pour éviter les dérapages, le variomètre (indicateur de taux de descente) et l'anémomètre pour la vitesse. Nous touchions le sol avec une légère translation. Le jour cela pouvait encore aller. Mais la nuit cela se "corsait" énormément. Lors de certains héliportages, nous n'avions pas de balisage et nous étions en JVN. Nous utilisions la même technique mais par nuit claire (nuit avec pleine lune qualifiée de nuit niveau 1) nous retrouvions le sol seulement vers 2-3 m avant de toucher les roues. Par nuit sans lune (niveau 4 uniquement éclairage stellaire) nous ne retrouvions pas le sol avant de toucher, nous attendions l'impact ! Extrêmement éprouvant.

Au cour d'une évacuation sanitaire de nuit sans lune, je me suis fait l'une des plus belle peur de ma carrière. Je suis parti de Hoddur sur un poste (le nom est Rapedur où Rabdur) tenu par la Légion Etrangère pour récupérer un légionnaire qui faisait une grosse crise de paludisme. En plus de l'équipage, il y avait un médecin et un infirmier. Arrivé sur le point, il n'y a pas de balisage en place, je sais que cet endroit est particulièrement poussiéreux. Je décide donc de poser plutôt vers le puit car c'est le coin le plus humide. Nous nous présentons pour l'approche, dès 70 m faible défilement, petit taux de chute, PA bien calé. Nous entrons dans le nuage, les secondes sont longues très très longues. Au bout d'un moment, que je suis incapable d'estimer, je ne me sentais pas bien, je crie à mon pilote remet les gaz, tire, tire tout. J'entends les moteurs qui montent en régime et une fraction de seconde plus tard je ressents un formidable impact : nous venions de toucher le sol. Nous rebondissons et reprenons de l'altitude. Vers 150m / sol nous contrôlons les instruments et testons les commandes, je décide une nouvelle tentative pour récupérer le malade. Entre temps, au sol, les légionnaires nous installent 4 lampes. Dès l'entrée dans le nuage de poussière je perds de vue les lampes mais j'en retrouve une à proximité du sol. Le posé est très difficile car je refuse le sol, la peur de taper de nouveau, la roue droite au sol je cadence mais je finis par plaquer l'appareil au sol. Au bilan j'ai creusé un trou au sol avec le train droit et j'ai déjànté d'une roue. Nous tirons le Puma avec un VAB (Véhicule de l'Avant Blindé, transport de troupe), puis nous repartons avec le blessé. Le lendemain les mécaniciens examinent le Puma sous toutes les coutures, il n'a rien. Je n'ai pas tapé très fort mais le bruit était très impressionnant car inattendu.

De temps en temps nous allions à Mogadiscio, c'était une mission très appréciée car on pouvait aller se baigner. C'était un bonheur sans pareil que de pouvoir se baigner alors qu'on était plongé dans la poussière et qu'on était rationné en eau. Nous partions toujours avec une grosse bouée, une glacière et un parasol. Les américains hallucinaient quand ils nous voyaient arriver à la plage. Cela a duré jusqu'à ce qu'une secrétaire de l'ambassade française se fasse arracher une jambe par un requin en se baignant à la plage où nous allions."

 

Coucher de soleil
(Photo Jean-Luc BRISSAUD)
Coucher de soleil

 

Dernière mise à jour le 10 mars 2001




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